Le Président de la République, également Premier Ministre, Ministre des finances, Ministre du Travail, etc… a décidé de faire de l’année 2010 une nouvelle année de réforme des retraites, en affirmant que tout devait être mis sur la table (nous ne dirons pas « de négociations »). Conjointement, comme à leur habitude, les médias relaient un discours visant à préparer l’opinion à de nouvelles régressions présentées comme inéluctables. Sont spécialement pointés les « avantages » familiaux et conjugaux (bonifications et majorations pour enfants, droit à la retraite après 15 années de service pour les parents de 3 enfants ou d’un enfant handicapé dans la fonction publique, pensions de réversion, …), l’âge légal de départ à la retraite, … et même une éventuelle réforme systémique visant à remplacer l’ensemble des régimes de retraites existants par un régime unique par points ou « de comptes notionnels ».

D’un même élan, la CFDT et le MEDEF souhaitent pour 2010 un « Grenelle des retraites » (mais pas un nouveau « mai 68 » que je sache) tandis que la CGT avance l’idée d’une « maison commune des retraites ».

Fait inhabituel : alors que jusqu’ici le Conseil d’orientation des retraites s’auto-mandatait sur des thèmes de travail, voilà que des parlementaires prennent l’initiative (spontanée ?) de le charger d’une mission d’étude sur ces systèmes de retraite, en particulier le système « de comptes notionnels » qui ont été instaurés récemment en Suède, en Italie, en Pologne, dans les Pays Baltes.

De son côté, la CNAV (régime général) a fait une étude sur ce que donnerait un régime par points.

Il y a là des coïncidences troublantes.

L’union sacrée des illusionnistes

Les partisans d’un régime par points ou de comptes notionnels (de Madelin à Thomas Piketty en passant par le MEDEF) mettent en avant les avantages : un système unifiant les régimes de base face à l’ « opacité » des systèmes actuels, un système plus juste à l’égard des carrières longues et des carrières modestes, qui prendrait mieux en compte la question des poly-pensionnés, qui permettrait de distinguer clairement les éléments contributifs et les éléments non contributifs (« avantages » familiaux par exemple) qui pourraient être financés par l’impôt.

Dans sa réflexion, le COR travaille sur l’hypothèse d’un régime de base (qui pourrait être de comptes notionnels) allié à des régimes complémentaires à base professionnelle (qui pourraient être par capitalisation comme la RAFP des fonctionnaires), avec comme conséquence la disparition des régimes spéciaux et du code des pensions de la Fonction publique, hypothèse à relier au passage progressif à une fonction publique d’emploi.

Le compte notionnel individuel

C’est un système par répartition à cotisations définies, c’est-à-dire que le futur retraité sait ce qu’il verse comme cotisations, mais ignore totalement ce qu’il percevra comme retraite (bonjour la transparence !). Il s’agit avant tout d’une technique et si l’on ne parle pas ici de système par points, cela revient au même.

Un compte notionnel est un compte fictif, constitué d’un « capital-retraite individuel » qui accumule les cotisations versées, revalorisées au fil des ans, qui seront transformées en une retraite en tenant compte de l’âge de départ à la retraite, de l’espérance de vie de votre génération, et évidemment des cotisations encaissées ou qu’il est prévu d’encaisser pendant les années de retraite correspondant à votre espérance de vie. Il n’y a donc plus de référence à une retraite en pourcentage du salaire (le salaire des 6 derniers mois par exemple dans la FP). Au mieux on connaîtra les conditions exigées pour une retraite « complète » : ne pas partir avant 65 ans, avoir 168 trimestres de cotisation pour éviter une décote, …

Les contraintes pour un tel système sont les mêmes que pour les autres systèmes (démographie, vieillissement, chômage, …), mais il s’inscrit plus « naturellement » dans le mouvement général qui tend à diminuer la place de la répartition pour augmenter la capitalisation. Face aux contraintes démographiques, par exemple, on peut augmenter les recettes en augmentant les taux de cotisation, mais alors on augmenterait du même coup les comptes notionnels, donc cela devrait entrainer une augmentation des pensions, … On voit bien la contradiction constitutive.

L’implicite du système est donc de geler les taux de cotisation. Dès lors, si le rapport cotisants/retraites diminue (moins de cotisants et – ou – plus de retraités vivant plus longtemps), la seule solution est la baisse des pensions. Cependant, l’avantage est que la question de l’évolution des pensions, résultant d’un dispositif technique fixé une fois pour toutes échapperait au débat politique. Et c’en serait fini des déficits des caisses qui ne répartiraient que ce qu’elles ont récolté. Un merveilleux système, en apparence !

Il est intéressant de noter ici que la Suède, qui vient d’adopter un tel système, avait accumulé des réserves financières importantes dans les caisses de retraites et n’a pas connu de « baby-boom ». Elle peut donc voir venir… Mais pour l’Italie, la perspective pour les salariés est une division par deux des retraites d’ici 10 à 15 ans.

Le non contributif

Derrière la promotion du système, il y a aussi l’idée de sortir le non contributif du financement par les cotisations. Cela conduirait à un affaiblissement de l’atténuation des inégalités (de carrière, de salaire, …) résultant du système par répartition tel qu’il existe actuellement : la retraite minimum garantie par exemple pourrait disparaître pour être remplacée par une allocation .

L’accentuation de la dimension contributive et le compte retraite individuel contribuent à propager l’idée que chacun cotise pour sa propre retraite et non plus pour financer les pensions de ceux qui sont déjà pensionnés. Cela participe de la destruction des solidarités sur la base d’une idée fausse de toute façon .

Récapitulation

La mise en place d’un système de retraite de comptes notionnels suppose la capacité de faire des prévisions fiables sur la masse annuelle des cotisations (donc des salaires) versées dans le futur, sur le nombre de départs en retraite et le nombre de retraités chaque année, sur les évolutions démographiques (on a déjà vu comment les démographes se sont trompés sur leurs prévisions ayant servi à « justifier » la réforme Fillon de 2003), sur les éventuels rendements futurs de la capitalisation. En Suède, par exemple, on prélève 16% de cotisation pour une sorte de « retraite de base », sans garantie de retraite minimum, et 6% de cotisation pour un système par capitalisation obligatoire sans aucune garantie, livré aux aléas des spéculations financières.

On irait vers

- la disparition de la référence aux salaires d’actif pour déterminer le montant de la pension, ce qui induit l’abandon de l’objectif du maintien d’un niveau de vie des retraités comparable à celui des actifs.

- une augmentation des inégalités dans le cadre d’une redistribution réduite

- une pénalisation accrue des carrières chaotiques (chômage, bas salaires, interruptions liées aux enfants,…) donc une pénalisation accrue des femmes en particulier. Cette pénalisation est déjà une réalité dans les réformes Balladur et Fillon, par le biais de la décote, de l’augmentation du nombre d’années de salaire de référence, de l’augmentation du nombre de trimestres requis pour une pension complète… Notons que dans le système de compte notionnel, toutes les années de salaires sont prises en compte, donc les plus mauvaises aussi

- la prise en charge du non contributif par l’impôt, sous forme d’allocations, d’aide sociale, de fonds de solidarité, …

- une absence de lisibilité : le système étant à cotisations définies, on saura sans doute où en est son compte retraite individuel à tout moment, mais on ne saura pas quelle pension en découlera. Les retraites seront différentes selon l’année de départ, avec le même « capital retraite » personnel

- un système où l’on pourrait « choisir » son âge de départ, mais on sait qu’une telle possibilité n’existe pas en général, surtout dans le secteur privé.

- une baisse continue des pensions versées sur la base de la répartition « justifiant » un recours accru à la capitalisation.

La question fondamentale, celle du financement des retraites comme salaire socialisé et continué, la question politique, serait évacuée pour ne faire place qu’à un débat « technique ». C’est ce que nous devons absolument refuser, même si nous avons à réfuter les arguments des partisans de ces réformes régressives.

Nous devons aussi ne pas attendre les annonces prévisibles du gouvernement, appuyées sur tel ou tel rapport d’ « experts », pour engager le débat sur le fond, reprendre la campagne d’information et de mobilisation que nous avions su mener en 2003 et appeler les personnels à l’action sur des bases offensives, sur nos revendications pour la restauration et l’amélioration de nos systèmes de retraites.

Jean-Claude Lamarche